L’équipe du Média TV a eu raison de résister à Denis Robert… la preuve par les révélations de Maxime Renahy

kouamouo
6 min readMar 11, 2021

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Je me permets de reproduire ici l’intégralité de sa lettre-vérité.

Chères amies, chers amis,

Vous avez été nombreux à m’envoyer des messages de sympathie dans les jours suivant ma démission de BLAST. Je vous en remercie chaleureusement.
Certains d’entre vous me demandent aujourd’hui de fournir des explications sur la cause de mon départ de ce média, peu de temps après l’avoir cofondé. Vous avez raison de me faire remarquer que mon annonce était laconique. J’ai effectivement eu des réticences à m’épancher sur les désaccords rencontrés au sein de Blast, ne souhaitant pas créer d’agitation sur les réseaux sociaux.

Votre demande m’a beaucoup questionné… Faut-il ou non évoquer de tels désaccords ? Faut-il évoquer notre incapacité à nous unir, alors même que le climat politique se dégrade de jour en jour ? Ne serait-ce pas faire le « jeu du pouvoir », comme on l’entend souvent ?

Je crois cependant que nous devons avoir la même exigence de transparence et de vérité vis-à-vis de nous-mêmes que celle que nous demandons à l’exécutif ou aux multinationales. Comment peut-on raisonnablement espérer un changement de société en recourant aux méthodes qu’utilisent ceux que nous critiquons.

Parce que je vous ai encouragés à soutenir Blast, je me dois de vous faire part ici d’un certain nombre de raisons ayant provoqué mon départ de ce média.

- Alors que Denis Robert se dit « garant de l’indépendance de Blast », j’ai constaté que les conditions de cette indépendance n’étaient absolument pas réunies.

Denis Robert a souhaité à plusieurs reprises que Blast, entreprise de presse solidaire, soit soutenue par le principal donateur anonyme d’Anticor. L’association anticorruption Anticor est présidée par Élise Van Beneden, qui est également l’une des fondatrices de Blast.
Ce donateur, qui a été présenté à Denis Robert par Elise Van Beneden afin d’aider Blast, a une grande partie de ses actifs dans les paradis fiscaux (Luxembourg, Singapour, Suisse). Il a fait fortune en créant un logiciel permettant aux fonds spéculatifs et aux fonds d’investissements — en somme la finance la plus agressive — d’être plus profitables à l’échelle internationale. Il a proposé à Blast de grosses sommes d’argent provenant du Luxembourg : 100 000 euros à la création du média sous forme de participations au capital, puis 20 000 euros par mois pendant un an, sous forme de dons. Soit 340 000 euros pour commencer.
Au cours d’une rencontre, ce « généreux philanthrope » nous a indiqué être un soutien d’Arnaud Montebourg pour l’élection présidentielle. Notons pour définir le périmètre du candidat Montebourg, qu’une de ses sociétés est partiellement détenue par un actionnaire luxembourgeois. Le mécène a précisé qu’il aimerait que nous investiguions sur Anne Hidalgo, rivale d’Arnaud Montebourg, ainsi que sur Patrick Drahi. Il a également demandé que nous enquêtions sur la gestation pour autrui (GPA), à laquelle il paraissait très opposé. Denis Robert lui a par la suite proposé, en échange de son soutien financier, une réunion tous les quinze jours avec un membre de l’équipe de Blast, afin qu’il puisse suivre en primeur les enquêtes du « pôle investigation »… Ce travail d’information au donateur était supposé m’ échoir…
Dès que j’ai pu vérifier le pedigree et les motivations de ce donateur, je me suis fermement opposé à toute implication financière de sa part, convaincu que le soutien d’un tel financier, quel qu’en soit le montant et les modalités, a toujours des effets délétères sur le fonctionnement d’un média — ou de n’importe quelle entreprise — comme j’ai pu le constater dans mes enquêtes.
J’ai aussitôt fait part des informations dont je disposais à son sujet à l’ensemble de l’équipe de Blast, en présence de Denis Robert. Tous les membres de l’équipe, à l’exception de Denis, ont partagé mon avis, estimant à raison que ce mode de financement était totalement incompatible avec un appel aux dons citoyens. Il y a eu quelques discussions fermes à ce sujet. Mais Denis est revenu à la charge, nous informant dans une seconde visioconférence qu’il avait demandé au donateur de faire transiter par un compte français l’argent luxembourgeois destiné à Blast. Et qu’une somme de 100 000 euros, tronçonnée en plusieurs dons, arriverait finalement sur Kiss kiss bank bank plutôt que sous forme de parts sociales afin de garantir l’anonymat du donateur.
- En outre, la modestie des ressources de nombreux donateurs ne me semblait pas prise en considération (certains sont au RSA, smicards, retraités précaires…). La SCIC me semblait garantir une décence dans les écarts de salaires au sein de l’entreprise. Ces écarts avaient été fixés de 1 à 3 par écrit dans les statuts que j’avais signés. Cette décision a été remise en cause par une nouvelle proposition de Denis Robert afin de permettre un écart de rémunérations allant de 1 à 10. Cette délibération a été votée par neuf voix contre trois. Denis Robert a voté pour. Elle permettra au plus haut salaire de l’entreprise d’atteindre 14 000 euros nets par mois (estimation basse). Est-ce vraiment à l’image des valeurs que nous défendons ?

Cette décision suit de quelques jours seulement l’un de mes messages aux fondateurs dans lequel je demandais que les associés renoncent à toute distribution d’intérêt aux détenteurs de parts sociales, afin que les éventuels bénéfices réalisés par l’entreprise soient entièrement réinjectés dans la SCIC. J’avais également demandé de retirer des dispositions statutaires qui auraient permis aux associés de réaliser une plus-value sur la revente de leurs parts après 5 ans. Est-ce pour compenser le fait de ne plus avoir de distribution d’intérêt, que deux jours plus tard Denis Robert proposait et faisait voter cette augmentation des plus hauts salaires ?

- J’ai par ailleurs ressenti de forts doutes quant au fait que l’investigation soit réellement la priorité de Blast. Les exigences de mon ex-employeur (formulées dans un contrat de travail qui me fut remis alors que la relation de travail était déjà entamée depuis trois semaines) m’auraient seulement permis de réaliser un travail de commentateur politique et non pas un travail d’investigation.
En tant que « responsable du pôle investigation » et seul salarié de ce prétendu pôle, il m’était en effet demandé de superviser les enquêtes de dix pigistes et de leur fournir des sujets. Tout cela à un rythme qui me paraissait effréné pour une seule personne et incompatible à mon sens avec un travail d’enquête sérieux. Je devais, parallèlement à ce travail, réaliser personnellement deux enquêtes vidéos par mois et écrire dix feuillets.

Si j’ai toujours été prêt à assumer avec plaisir d’importantes charges de travail, je reste néanmoins convaincu que le temps de l’investigation ne peut en aucun cas être subordonné à de telles exigences. Aucune des enquêtes ayant fait naître ma vocation journalistique (notamment celle du Boston Globe sur la pédophilie dans l’église, brillamment racontée dans le film « Spotlight ») n’aurait été possible si elle avait été soumise de manière aussi excessive à la pression de la périodicité et à un tel manque de moyens humains.
Voilà en conclusion la situation pour le moins étonnante à laquelle j’ai été confrontée.
Je me sentais très engagé dans la création de ce média. J’y avais de bonnes relations avec l’équipe, un salaire confortable de 2500 euros net fois treize mois, en CDI, et la certitude de participer activement à un média libre, novateur et indépendant. Ne me reste que la certitude d’y avoir vu se perpétuer l’ancien monde.
J’ai tenté la conciliation à de nombreuses reprises mais Denis Robert percevait mes remarques comme d’agaçants « ultimatums ». Il m’a donc fallu prendre acte de ces divergences trop importantes.
Il est attristant de constater de telles manœuvres dans un média présenté comme indépendant. Si je les révèle aujourd’hui, c’est parce je suis convaincu que la crise écologique, morale, sociale et économique ne pourra être surmontée qu’en mettant justement fin à ces pratiques, d’où qu’elles viennent. Je poursuivrai mes investigations et partagerai mes méthodes d’enquête par d’autres moyens.

A bientôt,

Maxime Renahy

Besançon le 11 mars 2021

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kouamouo

Journaliste @lemediatv